À l’ombre des Lumières. Des manuels scolaires aux programmes de l’enseignement secondaire (1930-2010)
Par Marc Deleplace, Centre d’histoire du XIXe siècle, Sorbonne Université.
La position du problème
Poser la question de l’enseignement des Lumières en France au XXe et XXIe siècle, c’est définir des moyens pédagogiques, des finalités sociales. C’est aussi placer au cœur de notre réflexion la relation des Lumières aux « Révolutions atlantiques » (Godechot (1)), et plus particulièrement à la Révolution française, au monde contemporain enfin.
Pour l’objet, comme souvent en histoire, il requiert deux modes de définition : comme période et comme signification, les deux étant étroitement liés puisque le premier travail de l’historien est à la fois de délimiter et d’unifier (2). Signification et périodisation sont ainsi le geste premier à accomplir, le temps étant le « lieu d’intelligibilité de l’histoire (3)». Or, dans l’univers scolaire en tout cas, la seconde entraîne la première. De cette périodisation, toujours en discussion de fait, nous nous contenterons ici d’en retenir deux approches. La première est celle d’une périodisation « courte », qui assimile le temps des Lumières à celui du règne de Louis XV, ou peu s’en faut (4). La seconde interroge à la fois les décalages européens et « l’entremêlement des temporalités », pour reprendre une expression empruntée à Louis Althusser par Michel Vovelle (5). Dans le cadre scolaire, force est de constater que c’est le premier qui l’emporte. Encore qu’il ne faudrait sans doute pas se laisser abuser par la forme des programmes et des manuels jusqu’aux années 1970 (6).
Pour les moyens pédagogiques, l’étude des manuels scolaires issus de la grande réforme de l’enseignement secondaire de mai 1902, qui couronnait la mise en place du système éducatif voulu par les gouvernements de la IIIe République, et largement inspirés de Jules Ferry et de son équipe – Ernest Lavisse, Paul Bert, Ferdinand Buisson, Louis Liard –, nous semble un préalable utile, voire nécessaire, pour saisir le projet pédagogique et social initial.
Nous verrons ainsi comment les manuels de référence que constituent de fait, par leur longévité et parce qu’issus d’une commande d’Ernest Lavisse, le Nouveau Cours d’histoire Malet-Isaac, dans sa version des années 1930 (7), répond à ce double objectif. Il sera intéressant d’étudier en contrepoint ce que la grande collection catholique équivalente, celle menée par Jean Guiraud (8) dit de l’enseignement des Lumières. C’est que les auteurs et directeurs de ces publications ont tous été formés à l’école des historiens méthodiques, ont tous approuvé le projet historiographique contenu dans l’Introduction aux études historiques de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, en 1898. Nous suivrons les premiers jusqu’à l’ultime édition du cours Isaac, au début des années 1970.
Pour les années 1980-2010, nous privilégierons les programmes scolaires et leurs fiches d’accompagnement. C’est qu’ils sont riches d’enseignement sur les intentions des auteurs des programmes, de la lecture ou de la relecture qu’ils proposent de la question des Lumières dans la compréhension pour l’élève des « fondements du monde contemporain », selon l’expression des prolégomènes du programme de seconde de 1988 (9). Bref, nous privilégierons la réflexion sur les finalités sociales de cet enseignement, par comparaison avec ce qu’il en était sous la IIIe République.
Chemin faisant, nous pourrons donc mesurer le double poids de l’historiographie et de la politique dans l’enseignement des Lumières au collège et au lycée.
Nous verrons ainsi comment l’on passe d’une lecture « culturelle », dominante dans les années 1930, aussi bien pour la collection Malet-Isaac que pour la collection Guiraud, nonobstant quelques jugements de valeurs échappés de leurs plumes quant à la relation entre Lumières et Révolution, à une lecture « sociale » dans le grand moment de l’école des Annales dans les programmes scolaires, non pas ceux de 1977 comme on le dit et le pense trop souvent, mais bien ceux de 1985-1988, programmes « Chevènement », enfin à un « retour du politique (10) » dès les programmes « Bayrou (11) » de 1995-1997. Une lecture essentiellement (c’est-à-dire par essence) politique qui place les Lumières dans la seule perspective de la critique de l’Ancien régime, ou mieux de la monarchie absolue, ce qui est pour le moins réducteur. Ce qui nous amènera, in fine, tout naturellement à exposer la situation présente telle que nous la saisissons, et les questions qu’elle soulève à son tour tant au point de vue pédagogique que social.
Nous constaterons au cours de ce trajet historiographique, épistémologique, didactique, que les figures incarnant les Lumières peuvent varier, certaines venir à la lumière lorsque d’autres entrent dans l’ombre.
Cela nous permettra enfin d’interroger l’évolution de la place de la Révolution française, à partir de son rapport aux Lumières, dans ces « fondements du monde contemporain » que l’on a renoncé à nommer comme tels, lors même que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 demeure en tête de notre Constitution et que ces mêmes droits de l’homme sont régulièrement invoqués de par le monde.
Quand les Lumières étaient un objet d’enseignement autonome (1930-1970)
Une double évidence s’impose à la lecture des deux collections de manuels que nous avons retenus (12) : l’ampleur du traitement réservé en classe de seconde aux Lumières, qui font l’objet d’un chapitre copieux intitulé soit « L’évolution des idées de 1750 à 1789 (13) », soit « Le mouvement intellectuel et artistique au XVIIIe siècle (14) » ; le lien avec le mouvement des réformes en France et en Europe (15), mais sans déterminisme vers la Révolution, celle-ci relevant du manuel de première (16).
Ainsi ce qui domine est une lecture à la fois courte chronologiquement, les lumières venant « buter » sur la Révolution, et large dans le contenu. Que le découpage des chapitres, si proches des « tiroirs de l’armoire normande », où les faits sont rangés soigneusement par catégorie, comme le linge dans cette dernière, ne nous trompe pas. Les auteurs de ces manuels semblent bien, au rebours de ce qu’en dira Jacques Le Goff, instituant Voltaire comme l’une des figures de références de l’historiographie des Annales, telle qu’il l’expose en 1988 (17), ne pas en avoir oublié les attentes et espérances. Le propos de ce dernier, dans ses Nouvelles considérations sur l’histoire de 1744 : « Peut-être arrivera-t-il bientôt dans la manière d'écrire l'histoire ce qui est arrivé dans la physique (18). Les nouvelles découvertes ont fait proscrire les anciens Systèmes. On voudra connaître le genre humain dans ce détail intéressant qui fait aujourd'hui la base de la philosophie naturelle », semble bien résonner encore dans les pages de ces manuels, corrigeant leur découpage, voire leur fragmentation thématique. Quelques exemples permettront de s’en convaincre.
Ce découpage, que Lucien Febvre trouvera un malin plaisir à montrer l’obstacle objectif qu’il constitue à une approche d’histoire totale (19) dont il trouve le programme chez Michelet, un Michelet dont Jacques Le Goff, dans le texte déjà cité, fera, après Voltaire, à son côté, la seconde figure tutélaire des Annales (20), provient entre autres de la collection dirigée par Ernest Lavisse quelques années avant qu’Albert Malet ne se mette à l’œuvre pour son manuel. Plus qu’une collection, une véritable somme : L’Histoire générale du IVe siècle à nos jours, publiée de 1892 à 1901, sous la direction et l’autorité conjointes d’Ernest Lavisse et d’Alfred Rambaud, histoire dont les douze gros volumes nous conduisent « Des origines » au « Monde contemporain ». Somme et source à laquelle s’abreuve Albert Malet (la rédaction de son manuel en porte la trace). Or cette somme alterne les chapitres qui privilégient une approche « nationale », quels que soient les peuples et les époques considérées, et ceux qui proposent au lecteur une approche « thématique ». De ces seconds relèvent précisément tous ceux qui abordent, au fil des siècles, les questions liées au savoir, scientifique ou social. Les Lumières entrent dans cette seconde catégorie, redonnant ainsi au savoir scientifique, aussi bien qu’aux idées philosophiques et aux arts, leur unité « transnationale ». Là encore, finalement, Voltaire a été entendu.
Comment cela se traduit-il dans nos manuels ? En voici quelques exemples. Mais une mise en garde préalable s’impose, le découpage thématique (sciences de la nature, sciences de la société, pratiques littéraires et artistiques, pour en reprendre les principaux d’entre eux) ne doit pas conduire à inférer l’inexactitude de notre assertion quant à l’unité qui se dégage de ces chapitres, à l’ampleur de la matière qu’ils abordent, et à l’indépendance de leur traitement vis-à-vis de la Révolution française. Et ceci alors que l’évolutionnisme premier de ces manuels, y compris les manuels catholiques, mais nous avons indiqué la conformité de formation de leurs auteurs avec ceux des manuels « républicains », évolutionnisme teinté de déterminisme et de finalisme historique, est leur cadre dominant de pensée.
Ces exemples, nous les puisons dans les manuels faute de pouvoir exploiter les programmes qui leur sont contemporains. En effet, et malgré Braudel en 1962, jusqu’au seuil des années 1980, les programmes d’histoire sont une nomenclature de nom, parfois de faits, qu’il convient de traiter en classe. Ainsi en 1947 trouve-t-on les énoncés suivant (nous les prenons volontairement hors de notre sujet) : Louis XIII ; la régence d’Anne d’Autriche ; Richelieu ; Mazarin ; la Fronde (21). Programme pour le moins laconique ! C’est donc en suivant les énoncés des manuels (faute d’avoir ceux des enseignants…) qu’il est possible, pour cette période, de retisser le sens de l’enseignement délivré.
Ces énoncés sont de deux sortes : ceux du récit qui forme la trame du manuel ; ceux qui annoncent, et souvent résument, le contenu qui va suivre. Le croisement de ces deux types d’énoncés, dont la fonction ne doit certes pas être confondue, permet de restituer le sens du propos souhaité comme devant être retenu par l’élève. Or les uns comme les autres, rendent compte de ce que nous soulevions il y a peu : que derrière le découpage lui-même nomenclatural des chapitres, se dissimule une unité de la pensée sociale que l’école des Annales reprochera à ses devanciers d’avoir trop négligée, et qu’elle cherchera au contraire à mettre en avant. Pour ne pas multiplier ici inutilement les énoncés des deux sortes, nous nous en tiendrons essentiellement à quelques-uns de ceux de la seconde sorte. Résumant la pensée des auteurs avant qu’elle ne soit développée, ils témoignent au premier chef de cette unité dans la manière de concevoir les Lumières, unité perdue dans les approches plus récentes, depuis les années 1990, pour les raisons que nous avons indiquées en introduction et dont nous donnerons le moment venu des exemples.
Voici comment le chapitre XV du volume consacré aux XVIIe et XVIIIe siècles du Malet-Isaac 1923 se trouve découpé : « 1– Les progrès scientifiques ; Les découvertes astronomiques ; La physique. L’électricité ; La chaleur. Les applications pratiques ; La première conquête de l’air ; Les sciences naturelles ; Influence du progrès scientifique ; 2– Philosophes et économistes ; Le triomphe de la philosophie ; Les nouvelles tendances ; Le « Roi Voltaire » ; Jean-Jacques Rousseau ; Diderot et l’Encyclopédie ; les économistes ; Quesnay et Gournay ; Les applications pratiques ; Adam Smith et Turgot (22) ; 3– Les lettres et les arts — Les tendances nouvelles ; Évolution de la littérature ; Évolution de l’art ; L’architecture ; La décoration des jardins ; La sculpture ; La peinture ; L’art en Europe ; La musique. » (Malet-Isaac, 2de, p. 430-463.)
Que cette énumération a dû te paraître fastidieuse, lecteur, comme il me fut de la recopier fidèlement ! Mais c’est qu’elle répond pleinement à notre affirmation première, et ce des deux manières que nous avons indiquées. En effet, d’une part le titre du chapitre est « L’évolution des idées de 1750 à 1789 ». Et cette approche finalement totalisante du mouvement ainsi décrit est précisée d’emblée, dans le chapô qui suit ce titre :
« Il y a dans cette période comme au temps de la Renaissance une fièvre de savoir, la passion de s’affranchir de tous les préjugés. Les travaux de Herschel, de Franklin, de Lavoisier, de Buffon, les inventions multiples donnent l’impression que la science va régénérer l’humanité. Avec les savants, les philosophes veulent le bonheur du genre humain, Voltaire en le délivrant du fatalisme de l’intolérance, Rousseau en le ramenant à la nature et en lui enseignant les droits naturels. Les artistes transforment et embellissent les villes. Ils suivent le goût du jour, qui est à la simplicité, au culte des vertus familiales, de la nature et de la beauté antique ».
Plus qu’un résumé de ce qui suivra, malgré l’ordonnancement de la présentation, ce texte introduction nous renvoie bien au projet de Voltaire, appelant les sciences au secours de la philosophie dans ses Nouvelles Considérations sur l’histoire de 1744. Le manuel catholique s’aligne ici en tout point avec le Malet-Isaac. Le chapitre XVII du livre de seconde s’intitule : « Le mouvement intellectuel et artistique au XVIIIe siècle », et il porte en sous-titre : « Évolution des idées. Philosophes et économistes. Savants et artistes » (Guiraud, 2de, p. 342). Même conception unitaire d’un mouvement d’ensemble.
Or cette approche répond aussi aux principes de l’épistémè classique, telle que l’analyse Michel Foucault (23). Nous en retenons deux principes qui sont ici doublement à l’œuvre. La construction d’un savoir nouveau, fondé tout à la fois sur l’observation et l’expérimentation, la distinction et l’analogie, le fait et le concept, le singulier et la généralisation, le cas et la loi, se retrouve tout entière ici : la science, que Comte parmi d’autres qualifiera bientôt de « positive », qu’elle soit science de la nature ou science de l’homme pour reprendre Dilthey, comporte deux aspects qui baignent encore nos auteurs, car, selon nous, cette épistémè classique se prolonge, sans véritable solution de continuité, du XVIIe au début du XXe siècle (24). Ces deux principes sont : établir un inventaire raisonné du monde ; établir la connaissance sur des faits que l’on peut regrouper par catégories. Le principe ultime est donc celui de la classification (des espèces, des formes géologiques, des races humaines, des civilisations, etc.). Il est désormais indispensable d’appartenir à un genre (littéraire, artistique, musical, etc.) mais aussi social (la casquette et le canotier).
Pour conclure ce premier moment de notre trajet, nous voudrions retenir cette citation de 1912, donnée précisément dès le premier chapitre de leur volume sur le monde contemporain par Malet et Isaac, inscrite sous le portrait d’Henri Poincaré, et qui nous semble faire écho au propos de Voltaire sur le rapport intime entre les sciences et la philosophie : « On a pu dire de lui H. Poincaré qu’il était vraiment le cerveau vivant des sciences rationnelles, le seul homme dont la pensée fut capable de faire tenir en elle toutes les autres pensées, de comprendre jusqu’au fond, et par une sorte de découverte renouvelée, tout ce que la pensée humaine peut aujourd’hui comprendre » (Malet-Isaac, Tle, p. 5). Mais ce propos nous apparaît également la dernière expression de cette soif de la recherche d’une pensée holistique, capable de comprendre le monde d’un jet, alors que l’épistémè classique présentée dans sa naissance et ses premiers balbutiements par Michel Foucault tend au contraire au découpage disciplinaire, non pas du monde mais de sa connaissance, sans que soient exclues ni la volonté ni la possibilité de faire en sorte que ces disciplines, par insémination croisée oserait-on dire, ne tendent à reconstituer la connaissance originelle une et indivisible. Mais c’est vers l’éclatement de l’enseignement des Lumières que nous allons nous diriger maintenant, car l’évolution de l’enseignement de l’histoire sur ce point nous y pousse irrésistiblement. Dans le même mouvement, nous suivrons comment se renouvelle la question de la relation des Lumières à la Révolution, dans le domaine scolaire, marqué donc par une finalité civique qui est comme la « raison sociale (25)» de l’histoire déjà pour Malet et Isaac.
Du social au politique : Les Lumières réduites à une propédeutique de la Révolution (années 1970-2010)
Le manuel de la collection Isaac de 1971, dernière mouture de cette collection née des suites de la réforme de 1902 et d’une longévité exceptionnelle de soixante-dix ans, dont la rédaction est due à Jean Michaud, amorce le mouvement qui conduira au second temps de notre étude, en ce qu’il répartit l’étude des Lumières en trois chapitres dont la direction vers la Révolution française comme achèvement est plus fortement suggérée : « Les lettres et les arts en Europe » étant suivi d’un chapitre intitulé « Les philosophes et les idées nouvelles (26)», césure donc entre la production intellectuelle et scientifique (27) et la philosophie politique que ne connaissaient pas les manuels des années 1930.
C’est que la marche vers la lecture politique dominante, qui introduit plus fermement la continuité entre les Lumières et la Révolution, point d’aboutissement de la remise en cause de la monarchie absolue, n’a plus que peu à voir avec le mouvement général des idées, en particulier scientifiques, du XVIIIe siècle, au mépris de la continuité entre science et philosophie politique que Condorcet revendiquait alors qu’il cherchait la voie d’une « mathématique sociale », entre 1788 et 1793, d’où sortira bien après la sociologie (28).
Ce mouvement vers le « retour du politique » est cependant un instant suspendu par la double force de l’histoire des Annales et de l’approche du bicentenaire de la Révolution (29).
C’est ainsi que les accompagnements des programmes de 1985, très riches, sans doute les plus riches depuis les Instructions d’Ernest Lavisse en 1890, Portent sur les Lumières un regard qui est empreint de cette idée formulée en 1943 que « l’histoire est sociale par définition (30)». Ce à quoi nous nous sommes permis malignement de répondre naguère par une interrogation, née de l’observation sur le temps long des programmes, de leurs accompagnements et commentaires, et des manuels de différentes générations : « L’histoire scolaire n’est-elle pas politique par définition (31) ? » C’est qu’il nous est apparu qu’entre les programmes essentiellement nomenclaturaux, tels qu’ils se présentent des années 1890 aux années 1960, puis pénétrés de plus en plus par des tentatives de conceptualisation thématique, des années 1970 aux jours présents, l’histoire économique et sociale, dont on aurait pu attendre qu’elle accompagnât cette évolution, puisque c’était au fond la lente pénétration de l’esprit des Annales que semblait refléter cette évolution, le temps véritable de cette histoire « sociale par définition » et conceptuelle dans son expression thématisée, s’inscrivait en fait dans un temps court, et traversé de polémiques et de résistances, celui qui sépare les programmes « Haby » de 1977 des programmes « Bayrou » de 1995. Et dans ce moment, vite refermé en ce qui concerne les Lumières, les programmes « Chevènement » de 1985 renfermaient presque seuls l’ambition d’une histoire sociale, totale, répondant au programme de la revue Annales encore sous-titré « Économies, sociétés, civilisations (32)».
Ce sont ici les accompagnements du programme de quatrième ainsi que son simple énoncé qui portent tous deux témoignage de la force alors acquise par cette volonté de voir dans l’enseignement de l’histoire la délivrance d’un savoir sur les sociétés, dans leur totalité systémique.
Commençons par l’énoncé du programme lui-même. Il propose dans une première partie sur l’Europe absolutiste, deux études successives : celle de « l’Ancien régime en France : aspects économique, social, religieux, culturel et politique » ; puis celle de « la remise en cause de l’absolutisme : les révolutions anglaises au XVIIe siècle, la Philosophie des Lumières en France, la Révolution américaine ». On reconnaît aisément dans le premier sujet d’étude l’intitulé même de la revue Annales ESC. Ce qui corrige à la fois l’intitulé restrictif du second sujet qui amorce la double contraction des Lumières à la Philosophie des Lumières, et de cette dernière à la remise en cause de l’absolutisme.
On pressent dès lors combien commence à se creuser le fossé entre une étude d’histoire totale des Lumières et une approche presque plus politiste qu’historique de ces dernières. Les programmes de 1996 ne font qu’accentuer ce phénomène, pour des raisons notamment politiques (la volonté de retisser le lien social dont on commence à mesurer à quel point il se délite). Nous n’insisterons pas davantage ici sur ce basculement du social au politique, que nous avons analysé ailleurs (33). Nous relèverons seulement le paradoxe partiel qui dans le même programme de 1985, et surtout dans leurs accompagnements, souligne l’approche d’histoire totale concernant la société française avant 1789, en suivant de manière si ostentatoire le programme des Annales ESC, tout en éclatant l’étude des Lumières en trois thèmes, ce qui permet d’en extraire la philosophie des Lumières et de l’instituer sans ambages, au côté des révolutions anglaises et de l’indépendance américaine, comme un des prolégomènes à la Révolution française. Ce faisant, la philosophie des Lumières se trouve ainsi enfermée territorialement (il s’agit des Lumières en France) et thématiquement (ces Lumières ainsi réduites ne font que participer de la remise en cause de l’absolutisme).
Il est en revanche temps pour nous de revenir sur un point que nous avions annoncé et dont n’avons encore rien évoqué : celui du lien structurel entre enseignement des Lumières et enseignement de la Révolution française. Ce lien était institué dès les manuels des années 1930 (en fait depuis toute l’historiographie du XIXe siècle, qu’elle fut favorable ou non à la Révolution : mais ce n’est le lieu de développer dans toute son ampleur ce fait), malgré ce que nous avons cherché à montrer de l’autonomie de l’étude des Lumières, en même temps que de toutes leurs dimensions comme courant de pensée et non pas seulement comme philosophie politique. Un court retour en arrière s’impose donc à nous, pour mieux saisir comment ce lien finit pensons-nous par étouffer les Lumières dans l’enseignement secondaire.
Revenons un instant à nos manuels. Deux citations, extraites des volumes consacrés l’un à l’étude des XVIIe et XVIIIe siècles, l’autre à celle de la période révolutionnaire et impériale (Malet-Isaac, 2de et Malet-Isaac, 1re (34)) suffiront à montrer la prudence des auteurs quant à ce lien que nous qualifions de structurel.
Concluant sur l’influence de la philosophie des Lumières, Malet et Isaac écrivaient certes que « Là ne devait pas s’arrêter leur action. Tôt ou tard, ces idées, principalement celle des philosophes, devaient entraîner un changement total de l’ordre établi, c’est-à-dire une révolution. » Mais c’est pour tempérer aussitôt : « Sans doute, ni la révolution d’Amérique, ni la Révolution française de 1789, n’ont eu pour cause déterminante la propagande philosophique. » (Malet-Isaac, 2de, p. 449.)
Ce qui ne leur interdit pas de citer, dans le volume suivant, certain philosophe comme le véritable penseur de la Révolution. Mais ô surprise !, il ne s’agit ni de Voltaire ni de Rousseau, ni même de Diderot. C’est l’abbé Mably qui est cité à la barre (Malet-Isaac, 1re, p. 29 )…
Or, dans un mouvement croisé, à partir de 1995 en particulier, la philosophie des Lumières est de plus en plus nettement impliquée dans la Révolution française, alors que Mably rentre dans l’ombre, et que cette philosophie, étudiée dans ses œuvres et ses hommes, certes, est de plus en plus désincarnée dès lors qu’elle touche au mouvement révolutionnaire (36).
Comment conclure ?
N’est-il pas audacieux, peut-être vain, de vouloir conclure ce trajet alors que l’enseignement de l’histoire connaît de nouveaux remous dont il est difficile de discerner où ils nous conduiront ? Osons tout de même remarquer, avec Braudel (37), que sous les agitations de surface, la politique des programmes, si l’on peut ainsi s’exprimer, n’a guère dévié depuis ceux de 1995 et du retour à une lecture politique dominante (38) de l’époque moderne. L’incidence sur la lecture des Lumières, sur l’appauvrissement de leur complexité, sur l’oubli ou presque de leur dimension européenne, que l’on songe au moins aux proximités et porosités avec l’Aufklärung germanique ou l’Enlightenment anglais, pour ne plus voir quasiment que la France dans la volonté d’en faire seulement la remise en cause de l’absolutisme, n’en demeure pas moins fatal. Autant qu’est fatal la lecture purement politique du lien entre Lumières et Révolution française. Non, Rousseau n’est pas le seul maître à penser en la matière, et Robespierre, pour ne retenir que lui, son disciple étriqué ; non, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’est pas la seule manifestation de l’individualisme triomphant du carcan de l’Ancien régime, mais proclamation du droit naturel, de celui qui cherche les fondements d’une société autrement que dans la défense des intérêts particuliers, fussent-ils ceux de la « nation » hypostasiée.
Le retour à un découpage ancien, qui conduit à isoler l’étude des Lumières en classe de seconde, celle de la Révolution étant renvoyée à la classe suivante, pourrait laisser espérer dégager les premières de la « gangue » de cette dernière, car pas davantage que les Lumières ne conduisent inéluctablement à la Révolution, celle-ci ne peut se comprendre qu’à la seule aune d’un « héritage », aussi riche et prégnant soit-il. Sur ce point au moins François Furet nous aura apporté un élément de réflexion essentiel : quelles que soient les causes de l’événement, celles-ci ne permettent pas d’en expliquer le surgissement ni le déroulement. L’événement a une dynamique propre (39). Là réside l’inventivité révolutionnaire, aussi étendu que soit le répertoire issu des Lumières dans lequel elle aura pu puiser. Redonner aux Lumières, et donc à leur enseignement, leur sens propre, voici ce que l’on peut souhaiter, pour l’intelligibilité de l’articulation décisive entre XVIIIe et XIXe siècle, pour l’intelligibilité tout autant de la Modernité historique, et de son actualité.
Notes
(1) GODECHOT Jacques, Les Révolutions, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 1986.
(2) CERTEAU Michel (de), L’Écriture de l’histoire, Paris, Seuil, 1975.
(3) BLOCH Marc, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, Cahier des Annales no 3, éd. posthume par Lucien Febvre, 1949.
(4) ROCHE Daniel, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993.
(5) DELON Michel (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, PUF, 1997 ; VOVELLE Michel, « L’histoire et la longue durée », dans LE GOFF Jacques (dir.), La Nouvelle Histoire, Éditions complexes, 1988.
(6) Incontestablement, les programmes de 1977, décriés par la profession, ouvrent le chemin à ceux de 1985 qui allient, plus que par le passé, présentation chronologique et thématique.
(7) Il s’agit donc de la version reprise par Jules Isaac, Albert Malet étant mort au front en 1915. Isaac, qui de professeur agrégé qu’il était lors de sa collaboration au premier manuel, avant 1914, attribué par l’éditeur au seul Malet, devient bientôt inspecteur général de l’Instruction publique (puis de l’Éducation nationale lorsque le ministère change de nom en 1930). La collection est, sous sa dernière version en 1970-1971, sous son seul nom, alors qu’il a à son tour passé la main pour la rédaction à une nouvelle équipe depuis l’édition de 1960 dont il rédige la préface, son ultime texte, et décède en 1963.
(8) Contemporaine et concurrente de la précédente, mais de moindre longévité, puisque l’enseignement catholique adopte après 1959 les manuels de l’enseignement public, l’essentiel de sa rédaction revient à Mgr Charles Aimond, qui terminera sa carrière comme directeur de l’enseignement catholique. Tout comme Jean Guiraud, qui poursuit pour sa part une carrière universitaire à Besançon tout en devenant en 1917 le premier rédacteur en chef laïc du journal La Croix, il est, comme nous le disions, élève de l’école méthodique, et suit un cursus universitaire qui lui permet d’obtenir le titre de docteur ès lettres, délivré par la seule université publique, comme tous les grades universitaires depuis les réformes napoléoniennes.
(9) Nos sources sont ici la publication des programmes et de leurs accompagnements par le Centre national de la documentation pédagogique (programmes qui seront cités dans la suite : CNDP 1989 et CNDP 1996 (il s’agit des programmes de collège dont la lecture est la plus riche pour nous). Quant aux programmes les plus récents, ils sont consultables sur le site gouvernemental Éduscol, accompagnés de fiches de mise en œuvre pour certains sujets Si nous devions les citer nous adopterions le même principe, soit : Éduscol 2008 et Éduscol 2017, ou Fiche Éduscol 2008 ou 2017 s’il ne s’agit pas du programme. Mais notre propos s’est volontairement arrêté au seuil de ces derniers programmes. C’est que nous estimons qu’il nous faudrait au préalable procéder à des analyses similaire à celles que nous avons produites sur les programmes précédents, ainsi que sur les manuels, depuis 1870 jusqu’à 2010 environ, et dont on trouvera quelques références dans nos notes (que l’on pourrait compléter en consultant notre bibliographie sur le site du Centre d’histoire du XIXe siècle, notre centre de recherche à la faculté des lettres de Sorbonne Université), et que ce n’est pas ce que nous souhaitions proposer à la réflexion ici. Notre conclusion éclairera ce choix.
(10) Expression de Pierre Nora.
(11) L’habitude s’est prise depuis les années 1970 de désigner les programmes non par leurs auteurs (contrairement aux programmes « Braudel » de 1962), mais par celui du ministre alors en charge de l’Éducation nationale.
(12) Pour la collection Malet-Isaac, il s’agit des volumes de seconde « XVIIe et XVIIIe siècles » et de première « Révolution, Empire, première moitié du XIXe siècle », que nous citerons par commodité : Malet-Isaac, 2de et Malet-Isaac, 1re ; rédigés par Jules Isaac avec l’aide de M. Bourilly (classe de 2de) et de Charles-Henri Pouthas (classe de 1re). Pour la collection Guiraud, ce sont les volumes équivalents, rédigés tous deux par Charles Aimond, intitulés « Le XVIIe et XVIIIe siècle » et « Histoire contemporaine jusqu’au milieu du XIXe siècle », que nous citerons Guiraud, 2de et Guiraud, 1re dans la suite de notre propos.
(13) Malet-Isaac, 2de, p. 430-463 ; les chapitres sur le mouvement des réformes en France et en Europe couvrent les deux chapitres suivants, p. 464 à 525.
(14) Guiraud, 2de, p. 341-374. Ici, le lien avec le mouvement des réformes en Europe est réservé au seul despotisme éclairé, sous les figures tutélaires de Frédéric II, Joseph II et Catherine II, p. 391-419, et à la fin du règne de Louis XV, début du règne de Louis XVI pour la France de 1758 à 1781, mettant en avant les figures de Turgot et Necker, p. 375-397.
(15) Celui-ci ayant été établi, en bonne ou mauvaise part, par les historiens de la Révolution française dès le début du XIXe siècle, il eût été pour le moins étonnant de le voir ignoré de nos auteurs.
(16) Rappelons que ces manuels correspondent aux programmes de 1925 (modifiés 1931) qui ont rétabli la continuité de l’enseignement de l’histoire sur les sept années du lycée, qui avaient été découpées une première fois en deux cycles par la réforme du 31 mai 1902, qui se traduisit dès l’instant par un affaiblissement de l’histoire antique et médiévale au profit de l’histoire moderne et contemporaine, position revendiquée par Seignobos et qui fit l’objet de vifs débats (déjà…), et le seront définitivement en 1938 (préfiguration lointaine du découplage entre les quatre années du collège et les trois du lycée, devenu la règle entre 1959-1963 et 1975, lors des grandes réformes Fouchet et Haby dont nous portons l’héritage).
(17) Jacques Le Goff, « Une science en marche, une science dans l’enfance », LE GOFF Jacques (dir.), La Nouvelle Histoire, Bruxelles, éditions Complexe, 1988.
(18) C’est bien entendu de Newton qu’il s’agit ici en priorité, même si Voltaire ne pouvait ignorer ni Descartes, ni Leibniz.
(19) FEBVRE Lucien, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1952. C’est à ce propos qu’il use de l’image de l’armoire normande…
(20) Jacques Le Goff, « Une science en marche, une science dans l’enfance », LE GOFF Jacques (dir.), La Nouvelle Histoire, Bruxelles, éditions Complexe, 1988.
(21) Publication Vuibert 1947.
(22) Dans cette division des deux premières parties, on retrouverait presque la distinction introduite par Dilthey en 1911 entre les sciences de la nature et les sciences de l’homme, les deux étant données dans cet ordre par l’auteur. La césure que nous retrouvons dans les manuels dès l’ultime version du Malet-Isaac et dans les manuels qui lui sont contemporains, au seuil des années 1970, qui distinguent progrès scientifique et progrès des idées ne font que prolonger, accentuer, cette impression, dans un contexte dont nous avons déjà dévoilé ce qu’il comportait de réduction de la notion de Lumières. La référence à Dilthey est tirée de PROST Antoine, Douze Leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996.
(23) FOUCAULT Michel, Les Mots et les Choses : Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.
(24) Ce qui te permet, lecteur, de mieux comprendre nos réticences devant l’évolution de l’enseignement des Lumières dont l’extinction n’est pas encore à déplorer, malgré ceux par qui le scandale est arrivé, d’un monde moins stable, y compris dans sa dimension physique : Einstein, Planck, Kandinsky, Schönberg, Breton, pour n’en citer que quelques-uns. Bref tous ceux qui, sensible aux phénomènes ondulatoires, et après la photographie, les impressionnistes et la radiographie, nous ont appris à voir le monde, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, d’un œil étranger à la Modernité historique, à saisir à nouveau l’éclatement en place de l’unité.
(25) C’est une expression par laquelle nous aimons à rendre compte à la fois de la relation originelle entre l’histoire et l’éducation civique, et justifier que l’histoire ait pu s’imposer, parmi les sciences sociales, comme matière d’enseignement aux dépends parfois de leurs domaines concurrents.
(26) Manuel de 4e, collection Isaac, Paris, Hachette, rééd. 1976, p. 326-349. Notons qu’un troisième chapitre, p. 350-355, inclut sous le seul titre « Les despotes éclairés » le mouvement des réformes en Europe, suivant en cela le manuel Guiraud, 2de. Remarquons enfin la forte réduction du volume des pages consacrées à ces chapitre, accentuée encore par la place nouvelle de l’iconographie et de la citation de textes d’époque. Le manuel moderne est né. Son appauvrissement de contenu explique que nous ayons préféré nous tourner pour cette seconde partie vers les programmes et leurs accompagnements.
(27) « Techniques et découvertes nouvelles au XVIIIe siècle », titre du premier des trois chapitres en question, les sciences étant ainsi isolées et rejetées vers les techniques CNDP, 1989. Amorce également, dans cette tripartition, d’une « disciplinarisation » des savoirs propre au siècle des Lumières précisément. C’est la naissance de l’épistémè classique pour reprendre le propos de FOUCAULT Michel, Les Mots et les Choses : Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.
(28) Le mot se rencontre d’abord dans les manuscrits de Sieyès. Sa publicité revient à Auguste Comte dans son cours de philosophie politique où il retrouve quelque peu les accents scientifiques de Condorcet en distinguant une « statique sociale » (ce sera bientôt après la sociologie d’Émile Durkheim) et une « dynamique sociale » (l’histoire des sociétés humaines).
(29) Le temps fort de ce moment social des Lumières s’inscrit entre la commission Le Goff de 1983 sur la réforme de l’enseignement de l’histoire et les programmes « Chevènement » de 1985.
(30) FEBVRE Lucien, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1952.
(31) DELEPLACE Marc, « L’histoire scolaire n’est-elle pas politique par définition ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 122, janvier-mars 2014, p. 71-89.
(32) Annales ESC. Sur le caractère profondément programmatique de ce sous-titre, adopté d’un commun accord par Lucien Febvre passant la main à Fernand Braudel, sans négliger ce qu’il devait aussi à Camille Ernest Labrousse, voir Burguière André, « Annales (école des) », BURGUIÈRE André, Dictionnaire des sciences historiques, Paris, Presses universitaires de France, 1986.
(33) Voir notamment DELEPLACE Marc, « Nouveau programme, nouvelle lecture de “l’ère des révolutions” ? », Histoire et Société. Revue européenne d’histoire sociale, hors-série no 1, juin 2004. On peut aussi consulter GARCIA Patrick et LEDUC Jean, L’Enseignement de l’histoire en France, de l’Ancien régime à nos jours, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2004 : en particulier le moment qu’ils qualifient de « moment mémoriel » de cet enseignement, entre 1995 et 2008.
(34) Remarquons que nous aurions pu tout aussi bien nous référer aux manuels de la collection Guiraud correspondant. Le résultat eût été le même.
(35) Sur le rôle de Mably comme « penseur » de la révolution, on pourra se référer à DELEPLACE Marc, L’Anarchie de Mably à Proudhon, Lyon, ENS Éditions, 2001.
(36) Voir CNDP, 1996 pour le programme de 4e, particulièrement « parlant » par ses silences qui vont jusqu’à considérer que l’étude préalable de la société française est superflue, et que l’état de cette société se lit « dans l’année 1789 elle-même ». (CNDP, 1996, p. 89.)
(37) Nous faisons bien entendu allusion aux positions qu’il a énoncés, sous l’amicale suggestion de Lucien Febvre d’abord, dès sa thèse sur La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, soutenue en 1946 et publiée une première fois en 1949 – la seconde édition de 1963 ne mettant pas en cause ce qui nous intéresse ici, concernant l’inversion des rapports du temps long et du temps court de l’histoire, positions réitérées et précisés en 1950, dans sa conférence introductive au Collège de France, puis dans l’article sur « La longue durée », parue dans la (« sa ») revue des Annales ESC en 1958.
(38) Nous nous sommes très tôt exprimé sur ce « tournant politique » et sa signification : « Nouveau programme, nouvelle lecture de “l’ère des révolutions” ? », Histoire et sociétés. Revue européenne d’histoire sociale, hors-série no 1, juin 2004, p. 52-60 ; « On n’enseigne plus la Révolution française à vos enfants », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 93, octobre-décembre 2004, p. 13-27. Force nous est de considérer que notre propos présent, plus de vingt ans après, ne remet pas fondamentalement en cause le constat établi dès lors, tant sur le plan épistémologique que didactique, et qui touche profondément l’enseignement des Lumières et la lecture qui est faite de ces dernières.
(39) FURET François, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 1985 (1re éd. 1978).