Kritik und Krise de Reinhart Koselleck, une oeuvre d’historien, de philosophe ou de doctrinaire schmittien ?

Par Emmanuel Faye, ERIAC - Université de Rouen Normandie.

Kritik und Krise de Reinhart Koselleck, une oeuvre d’historien, de philosophe ou de doctrinaire schmittien ?

Séminaire « L’esprit des Lumières et de la Révolution », 18 janvier 2024.


Merci à Yannick Bosc, Marc Belissa et Florence Gauthier de m’accueillir, pour la
deuxième fois dans le séminaire sur « L’esprit des Lumières et de la Révolution ». J’étais intervenu une première fois à l’invitation de Florence Gauthier, en 2016, sur le sujet : « Hannah Arendt, Burke et les droits de l’homme ». De cette première rencontre était né un projet de journée d’étude et d’ouvrage sur Hannah Arendt, la Révolution et les droits de l’homme. La Journée s’est tenue à l’Université de Rouen Normandie en avril 2018 et le livre qui en a été tiré, édité avec Yannick Bosc, est paru en 2019 chez Kimé.
Je rappelle ces réalisations car mon intervention d’aujourd’hui se situe dans une certaine continuité avec ces travaux. L’historien allemand Reinhart Koselleck, dont il sera question dans cette séance, présente en effet, sur la conception de la modernité et des causes supposées du totalitarisme, plus d’une affinité avec Hannah Arendt, qu’il a d’ailleurs invitée à l’Université de Heidelberg en 1956, peu après la publication de l’édition allemande des Origines du totalitarisme.
Koselleck s’est d’abord fait connaître par sa thèse de doctorat sur le rôle des Lumières dans la modernité, publiée en 1959 chez Alber Verlag et intitulée Kritik und Krise : Eine Untersuchung der politischen Funktion des dualistischen Weltbildes im 18. Jahrhundert [Critique et crise : une étude de la fonction politique de la vision du monde dualiste au XVIIIe siècle]. Ce que Koselleck nomme la vision ou image du monde dualiste au XVIIIe siècle, c’est la séparation entre politique et morale, ramenée par lui à l’opposition entre extérieur et intérieur, public et privé. La thèse de Koselleck exprimée par le soustitre, c’est que cette dualité a elle-même une fonction politique.
Une édition quelque peu édulcorée de son livre, car dépourvue du sous-titre et d’une partie des notes, est parue en France deux décennies plus tard, en 1979, sous le titre Le règne de la critique. C’est sur cet ouvrage que je voudrais revenir, en abordant avec vous la question de sa signification et de son statut1. Je ferai référence au titre allemand plutôt qu’à sa transposition française, car la relation causale, selon Koselleck, entre critique et crise, que ne rend plus le titre français, est au cœur de sa thèse.

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